Une heure avec Jean –Claude Martin, vigneron suisse producteur de vin en Afrique du Sud

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Si les vins suisses peinent à s’exporter, les vignerons helvétiques réussissent très bien hors de nos frontières. Deux Suisse, Jean-Claude Martin et Christophe Kaser se sont associés pour lancer le domaine Création à Walker Bay, l’une des régions les plus australes et les plus en vogue du vignoble sud-africain. En quelques années, leurs vins ont déjà gagné une reconnaissance nationale et internationale. Rencontre avec l’un des artisans de cette réussite.

Considéré par certains guide comme «a piece of wine paradise», le domaine Creation était une ferme agricole avant votre arrivée, comment avez-vous déniché cette perle?
Ma femme Carolyn est la fille de l’un des pionniers de Glen Carlou, Walter Finlayson. A force de venir en Afrique pour mes beaux-parents, l’idée d’acquérir un domaine dans le pays a commencé à me titiller. L’oncle de ma femme ayant un domaine dans la vallée d’Hemel-en- Arde, il m’a fait découvrir cette ferme vallonnée près de l’océan dont le potentiel viticole important était totalement inexploité.

On arrive chez vous par un chemin en terre de plusieurs kilomètres. Et pourtant vous avez construit un restaurant et vous proposez tous les jours des Wine and Dine. Quelle est votre recette ?
L’oenotourisme est une tradition culturelle forte en Afrique du Sud. La mer ne dépasse jamais les 15 degrés dans la région, alors les gens passent deux jours sur la plage et puis ils ont envie de faire d’autres activités. Bien que nous soyons un petit domaine récent, nous avons des visiteurs toute l’année et la vente directe au restaurant nous permet d’écouler le tiers de notre production.

Pourquoi quitter un domaine en Suisse pour en créer un en Afrique du Sud?
En Suisse, vous avez toujours quelqu’un en train de regarder au-dessus de votre épaule. Si vous voulez déplacer un mur de cinq centimètres, vous avez dix voisins qui font opposition. Lorsque nous avons planté du Malbec à Grillette, la moitié des vignerons de Neuchâtel est venu nous expliquer pourquoi c’était une mauvaise idée. Ici, nous avons de l’espace, si je peins un volet en bleu ou si je plante un cépage original, personne ne me fait la leçon.  De plus, en Suisse, le vin coûte très cher à produire, ce qui oblige à travailler en ventre directe. Ici, les prix permettent de développer des marges qui conviennent à tout le monde.

Par contre, cela implique des salaires assez bas pour les travailleurs viticoles ?
Bien sûr que les salaires sont moins élevés qu’en Europe, mais la productivité n’est pas la même non plus. Nous recherchons un raisin de haute qualité et pour le travail soit bien fait, nous avons besoin de trois fois plus de main-d’œuvre que ce qui serait nécessaire en Europe. Ainsi, nos équipes ne travaillent à plein que mardi, mercredi et jeudi, car lundi et vendredi, plus de la moitié des employés sont absents. Ça change de la Suisse, mais si l’on ne veut pas devenir fou, on apprend à envisager les choses de manière plus détendues et l’on planifie les vendanges sur huit semaines alors qu’on pourrait tout récolter en cinq.

Votre site explique que la région abrite une faune africaine très diversifiée: léopard, mangouste, babouins, grues, antilopes? Ces animaux posent-ils des problèmes auxquels votre formation helvétique ne vous a pas préparé?
Près des zones boisées, nous avons quelques soucis avec les oiseaux et il faut poser des filets. En cela, pas grande différence avec la Suisse. Concernant les autres chapardeurs, les seuls à nous poser parfois problèmes sont les babouins. Ils se baladent en tribus nombreuses qui peuvent faire de gros dégâts. Une fois, nous avons perdu un hectare de Sauvignon Blanc en un week-end. Donc, sitôt qu’ils s’approchent des zones cultivées, nous les chassons avec des pétards.

Des soucis assez similaires à ceux de vos collègues du nord ?
Une problématique plus exotique, ce sont les serpents et les araignées que l’on rencontre parfois dans les vignes. Ils ne touchent pas aux raisins, mais représentent un danger pour le personnel. La plus embêtante est la vipère heurtante, qui compte sur son camouflage pour ne pas être dérangée. Ce qui fait que non seulement on ne la voit pas, mais elle ne s’enfuit pas si l’on s’approche d’elle. Heureusement, les accidents sont rares et nous n’avons jamais eu de problèmes à Creation.

Précision et valeurs suisses sont assez présentes dans votre communication, mais verra-t-on un jour des cépages typiquement helvétiques à Création ?
Je rêve de planter de la Petite Arvine ici, mais étant donné que le cépage n’est pas homologué, c’est long et compliqué. Durant l’apartheid, le boycott empêchait les vignerons d’obtenir officiellement de nouveaux plants ou de nouveaux clones. Pas mal de matériel végétal est alors arrivé dans des valises privées. Conséquence: un certain nombre de virus indésirables ont aussi passé la frontière. Depuis lors, les quarantaines sont assez sévères.

Interview paru en septembre 2011 dans le magazine VINUM

 

About the Author:

Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

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