Le vin sacré trait d’union (épisode 7: la fin de l’Ancien Régime)

Au coeur de l’Europe, le Valais est depuis trois millénaires sur le chemin des grandes routes reliant le sud et le nord du continent. Marchands, soldats, religieux, artisans, intellectuels, voyageurs et exilés ont traversé cette région. Tous y ont séjourné, certains s’y sont installés apportant avec eux des idées, des coutumes, des plantes et des innovations qui ont façonné cette région. L’un des pôles d’attraction importants du Valais a toujours été l’Abbaye de Saint-Maurice, qui possède des vignes depuis sa création, il y a plus de 1500 ans.

La vision d’un Valais enfermé entre ses montages et peuplé de goîtreux vivant leur courte vie sans jamais sortir de leur village, ni croiser un seul étranger jusqu’à ce que les cantons voisins les délivrent de leur enfermement en construisant le chemin de fer est une image d’Epinal malheureusement courante. Elle s’entrecroise souvent avec celle du Moyen-Âge, que les esprits simples résument à une «période sombre» durant laquelle une population en semi-servitude multipliait les pratiques superstitieuses en vue de survivre à la faim, aux pestes et aux bûchers. Parfois, ces beaux esprits s’étonnent tout de même qu’entre deux autodafés, cette Europe médiévale ait eu le loisir d’inventer l’université (Bologne 1088, Oxford 1116, Paris 1120) et la littérature arthurienne ou d’émailler le continent de cathédrales. De même, le Valais, pays de cols traversé par les routes reliant l’Italie – qui était la porte d’entrée vers Byzance, la route de la Soie et celle des épices – et les puissants royaumes du nord (Saint-Empire Romain Germanique, France, Angleterre) a été énormément influencé par les voyageurs qui l’ont traversé, comme par les pérégrinations de ses autochtones. Et tout particulièrement au Moyen-Âge, une période complexe qui débute au 5e siècle, à la chute de l’Empire romain, et se termine mille ans plus tard, au 15e siècle. Les plus impressionnants témoignages de ces échanges qui ont métamorphosé le canton et ses habitants, mais aussi sur son vignoble, sont exposés dans le trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice. Plus ancien monastère en activité d’Europe occidentale, ce couvent, fondé en 515, peut sans doute aussi revendiquer le titre de plus vieux propriétaire viticole du monde. Au travers de quelques pièces maîtresses forgées à Rome, à Paris ou en Inde, ce reportage entend rappeler le rôle de carrefour entre Orient et Occident, entre nord et sud des Alpes, entre latins et germains, qu’a joué depuis deux millénaires le Valais.
www.abbaye-stmaurice.ch

Statue équestre de Saint-Maurice Photo: Abbaye de Saint-Maurice

Statue équestre de Saint-Maurice
Photo: Abbaye de Saint-Maurice

Statue équestre de Saint-Maurice
Puissant voisin de l’Abbaye, le comté, qui deviendra duché de Savoie, entretient des liens ambivalents avec le monastère. Parfois alliés, parfois adversaires, souvent débiteurs, les seigneurs de Savoie compte aussi parmi les donateurs importants du monastère. En 1577, Emmanuel-Philibert offre cette statue équestre en argent. Ouvragé dans les ateliers savoyards – soit à Turin, soit à Chambéry – ce cavalier porte les armes de Saint-Maurice, mais les traits du duc. Offert durant un épisode de peste, ce cadeau somptueux a longtemps été considéré comme un ex-voto (une offrande faite en demande ou en remerciement d’une grâce divine). Une restauration moderne a démontré qu’en réalité le cheval cache des reliques – entre autres de Saint François de Sales, acteur important de la restauration catholique dans le Chablais savoyard – postérieures à la fabrication de la statue. Un ajout qu’il faut considérer un présent ducal qui symbolise l’étroitesse des liens tissés au fil des siècles entre l’Abbaye de Saint-Maurice et la maison de Savoie.

Une économie d’une grande complexité
Vers 1660, l’Abbaye de Saint-Maurice apparaît comme un propriétaire viticole important. Elle possède des vignes dans les environs du monastère mais aussi à Vétroz, près de Martigny et dans ses possessions du Chablais vaudois. Les livres de comptes de l’époque montrent que le monastère paie des gardes nommés par la ville pour surveiller les vignes et des ouvriers pour cultiver et vendanger ses domaines. Les frais de culture reviennent à 500 florins et ceux relativs à la vendange à 300, tandis que le «vinitor», le chef vigneron perçoit un salaire annuel de 100 florins. A noter que les émoluments se règlent en espèces ainsi qu’en nature. «Pour chaque pose (une unité de surface correspondant à 80 mètres carrés environ) de vigne effeuillée et levée, on donne deux quarterons de vin, deux pots de fèves, un quarteron de grains, mi-orge, mi-seigle, deux livres de fromages», précise la comptabilité abbatiale qui précise que toutes les trois poses, on ajoute «un pain de sel et 21 batz d’argent». Le salaire du ramassage des sarments est de «quatre florins et d’un bichet de fèves», tandis que le personnel qui s’occupe du désherbage reçoit pour sa peine: «un quarteron de céréales, mi-orge, mi-seigle, par pose, et rien d’autre».

Alexandre Truffer
Cet article fait partie d’un dossier sur l’histoire du vignoble valaisan vu au travers du trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice, le plus ancien propriétaire de vignes au monde paru dans le hors-série Valais 2017.

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