Les Vaudois lauréats du Grand Prix du Vin Suisse 2017

L’édition 2017 du Grand Prix du Vin Suisse a vu quelques 2800 compétiteurs se soumettre au verdict d’un grand jury de dégustation au mois de juin. Si un tiers des concurrents a reçu une médaille d’or ou d’argent, seuls 78 vins ont été nominés pour la redégustation d’août confiée à un jury international. Dix-sept vaudois – et non seize comme annoncés dans la précédente édition puisque le rosé Speed Tasting de la maison Berthaudin est un fier représentant de La Côte – faisaient partie de cette petite élite. Le 31 octobre, sept d’entre eux ont eu l’honneur de monter sur le podium érigé dans la grande salle du casino de Berne. Une fois venu l’heure des prix spéciaux, Reynald Parmelin a confirmé sa domination sur les vins bio helvétiques en venant chercher son cinquième sacre, tandis que Christian et Julien Dutruy été aussi surpris qu’émus par la remise du titre suprême, celui de Cave Suisse de l’Année 2017.

Julien und Christian Dutruy im Holzfasskeller,Founex, Waadt, Vaud, ,

Julien und Christian Dutruy im Holzfasskeller,Founex, Waadt, Vaud, ,

Les Frères Dutruy: Cave Suisse de l’Année 2017
«Nous sommes venus au gala avec les collaborateurs essentiels de l’entreprise dans l’idée de participer à une belle soirée pour clore une année bien remplie. Le trophée remporté avec le brut dès le début de la soirée nous a libérés, mais nous n’avons jamais imaginé être couronné Cave Suisse de l’Année», confirme Julien Dutruy qui avoue qu’avec deux nominés et sept crus médaillés sur huit vins présentés, il faisait sans doute partie des papables. Offrant le deuxième sacre au vignoble vaudois après celui du Domaine de la Ville de Morges en 2015, Les Frères Dutruy ont gravi pas à pas tous les échelons pour obtenir la récompense la plus convoitée en terres helvétiques. En 2005, Christian né en 1975 et Julien, arrivé lors du millésime 1980, reprennent le domaine familial développé par Jean-Jacques Dutruy. Douze ans de travail acharné, des investissements considérables dans une cave ultramoderne, un soin minutieux apporté à tous les aspects du métier – de la pépinière à la communication – et des employés efficaces: tous ces aspects de l’épopée des Frères Dutruy sont déjà bien connus. Ajoutons-y un soutien sans faille de tous les membres de la famille pour obtenir la recette d’un succès qui commence en 2007, lorsque leur Gamaret Les Romaines 2005 s’impose dans la catégorie «Autres cépages rouges purs» du concours national. Tandis que cette gamme de prestige créée par Jean-Jacques Dutruy s’étoffe, les vins des Frères Dutruy gagnent en complexité et en précision. Ce qui leur assure de s’assurer petit à petit une place de choix sur les grandes tables de Suisse romande et dans les guides viticoles. «Le titre obtenu à Berne cet automne a provoqué d’importantes sollicitations médiatiques, mais aussi commerciales», précise Julien qui considère que, si leur cave apparaît plutôt bien positionnée dans les restaurants et chez les revendeurs romands, il reste encore une marge de progression importante Outre-Sarine. «Ce titre nous ouvre des portes, mais nous ne voulons pas foncer tête baissée, nuance toutefois l’œnologue de Founex. En termes de taille d’entreprise, nous avons atteint une certaine vitesse de croisière. La dépasser impliquerait sans doute de rogner sur la qualité, ce à quoi nous nous refusons.» Cultivant 25 hectares, les Frères Dutruy ont fait le choix de l’agriculture biologique. «Nous avons reçu la semaine passée, le certificat bio fédéral pour nos vignes. La cave devrait être labellisée l’an prochain. Par contre, nous voyons ce label comme une reconnaissance du travail effectué à la vigne, mais nous n’envisageons pas de nous en servir comme d’un outil de promotion en l’apposant sur nos bouteilles. »
www.lesfreresdutruy.ch

Reynald Parmelin: cinquième étoile pour le roi du bio
Outre la Cave Suisse de l’Année, le concours national délivre trois prix spéciaux: les Vinissimo Rouge et Blanc qui récompensent la meilleure cuvée de chaque couleur et le Prix Bio Suisse. Ce dernier est attribué pour la cinquième fois, en dix ans, à Reynald Parmelin. Célèbre pour ses bouteilles bleues, le producteur de La Côte a été le premier vigneron vaudois à obtenir le label Bio Suisse. Une certification qui date d’une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître et où les concepts de développement durable et de réchauffement climatique étaient ignorés du grand public. Depuis 1994, beaucoup de choses ont changé, mais les orientations prises par le propriétaire du Domaine La Capitaine à Begnins ont payé. Son espace d’accueil, face au Léman et au Mont-Blanc, fait salle comble tous les week-ends et ses vins font partie des rares cuvées suisses à passer la frontière en quantités plus que confidentielles. Les Grand Prix du Vin Suisse 2009, 2010 et 2011 avaient vu le triomphe de son johanniter, un cépage hybride résistant aux maladies cryptogamiques comme le mildiou ou l’oïdium. Né de croisements complexes, ce raisin qui compte, entre autres, le riesling et le chasselas, parmi ses aïeuls donne naissance à un vin aromatique porté par un léger sucre résiduel. Cette année, pas de légère onctuosité pour le vainqueur du Prix Bio Suisse, mais une douceur assumée pour cette Vengeance tardive 2016. «Ce vin existe depuis quinze ans, mais son nom a changé au fil des années. A l’époque où il s’appelait encore Vendange tardive, une cliente a sa langue qui a fourché. J’ai trouvé le lapsus amusant et rebaptisé ce Pinot Gris récolté fin novembre ou début décembre», précise Reynald Parmelin qui travaille ce vin de manière à obtenir 12° d’alcool et quelques 80 grammes de sucre résiduel par litre. «Il y a un petit changement avec le millésime qui a gagné à Berne, ajoute l’œnologue de La Côte. Le 2016 a passé un petit moment en barrique, ce qui n’était pas le cas du tout avant.» Et que les amateurs de vin secs se rassurent. Le domaine qui cultive plus d’une vingtaine d’hectares proposent également des vins secs à l’image de son chasselas Premier Grand Cru de la Collection Agénor ou de son Pinot Noir, dont le millésime 2015 a remporté le Prix Bio Suisse en 2016.
www.lacapitaine.ch

Deux Saint-Saphorin au sommet
«Lorsque nous avons repris le domaine de nos parents il y a une trentaine d’années, mon frère jumeau, Jean-Daniel, et moi n’avons par réussi à nous mettre d’accord sur qui s’occuperait de la vigne et qui de la cave, explique Jean-Paul Rogivue. Nous avons donc décidé d’échanger nos places chaque année. Les millésimes impairs sont vinifiés par Jean-Daniel tandis que je m’occupe de la vigne. Et inversement les années paires.» Ce système permet aux deux vignerons de rester au courant des innovations en viticulture comme en œnologie. En ce qui concerne la dégustation, tout se fait à trois depuis que François- fils de Jean-Paul et représentant de la quatrième génération – a rejoint son père et son oncle il y a deux ans.  «Les Fils Rogivue sont un domaine familial de 9,5 hectares qui produit 75% de blanc, essentiellement du Saint-Saphorin et du Dézaley. La production se monte à quelques 100’000 bouteilles par année commercialisées auprès d’une clientèle privée fidèle (55%) et de deux grossistes: Coop et Mövenpick», déclare l’heureux vainqueur de la catégorie Chasselas du Grand Prix du Vin Suisse. Devançant trois autres chasselas de Lavaux et deux Fendant, le Saint-Saphorin Bellevue 2016 s’impose devant 410 concurrents. «Ces récompenses exceptionnelles (le domaine avait été nominé en 2010 avec Les Fosses 2009, un autre Saint-Saphorin et s’était classé deuxième en 2012 avec sa Cuvée Rogivue 2010, un effervescent élaboré par Xavier Chevalley) ne permettent pas seulement de confirmer que notre manière de travailler fonctionne, elle a aussi un impact sur les ventes. On parle ici de centaines de bouteilles plus que de milliers, mais il existe une clientèle qui s’intéresse aux vins primés et plusieurs d’entre eux nous ont déjà téléphoné».
L’élégance et la finesse des crus ensoleillés de Saint-Saphorin semblent avoir conquis les jurés du Grand Prix du Vin Suisse 2017 puisque le Bellevue 2016 des Fils Rogivue est suivi de près par le Saint-Saphorin La Rionde 2016 du domaine Patrick Fonjallaz. Darel Cedraschi, l’œnologue en charge des vinifications depuis 2015, explique que la vinification de ce classique n’a pas été des plus évidents. «La Rionde se compose aux deux tiers de notre production personnelle tandis que le solde est acheté à la vendange. En ce qui concerne la vinification, celle-ci se déroule de manière traditionnelle avec un élevage en foudres de bois. La particularité de 2016 est que ce vin a eu besoin de plus de deux mois pour terminer ses fermentations.» Un travail de longue haleine qui a fini par payer comme se réjouit cet œnologue qui considère que «les concours ne doivent pas devenir une obsession, mais ils constituent tout de même un indicateur important pour notre profession. Tout comme le label Terravin qui orne la boutonnière de l’ensemble de notre production, label dont on aime à rappeler qu’il ne représente que cinq à six pour cent de la production vaudoise.».

Les rouges vaudois jouent placés
Gamaret et Garanoir, respectivement quatrième et cinquième cépages rouges les plus plantés en Suisse, avaient pour la première fois de l’histoire du concours national une catégorie dédiée. Trois vins vaudois étaient qualifiés pour la finale: le Domaine de la Croix à Bursins, la Ville de Payerne et le Domaine de la Crosettaz à Gilly. Au final, seul ce dernier est monté sur le podium. Encadré par un genevois et un zurichois, le Désir Noir 2016 de Daniel et Xavier Bovy est comme l’indique ce dernier: «un mariage de 60% de Garanoir et de 40% de Gamaret vinifié en cuve inox. 2016 était une année compliquée à la vigne à de l’importance pression des maladies cryptogamiques. Heureusement, l’automne ensoleillé et sec a permis de terminer par de magnifiques vendanges.» Particularité amusante de cet assemblage, le Garanoir faisait partie des premiers raisins récoltés mi-octobre tandis que la famille Bovy a laissé le Gamaret patienter jusqu’au 4 novembre. Un pari réussi pour ce domaine familial de Gilly qui possède onze hectares de vignes « tous en appellation Tartegnin » explique Xavier Bovy.
Les deux Merlot lémaniques qui pouvait prétendre concurrencer l’armada tessinoise comptaient parmi les rouges les plus renommés et les mieux établis du vignoble vaudois. L’Apicius 2014 de Hammel échoue d’un rien au pied du podium tandis que Le Bernardin 2015 – qui fait partie de la gamme Bernard Ravet élaboré par Uvavins – Cave de la Côte – s’intercale entre deux classiques du Tessin. Issu d’une sélection de parcelles réparties sur la plus grand appellation d’origine contrôlée vaudoise, ce Merlot est élevé plus d’une année en barrique avant de patienter encore quelques saisons en bouteille. Régulièrement médaillé dans les compétitions régionales, nationales ou internationales, cette cuvée haut de gamme signée du grand cuisinier de Vufflens-le-Château se veut un hommage au travail minutieux des vignerons de La Côte.
Le troisième trophée en rouge est gagné dans la catégorie Gamay. Deux domaines vaudois régulièrement au sommet des compétitions régionales et nationales faisaient partie des six finalistes. Si les Frères Dubois doivent se contenter d’un diplôme, Benjamin Morel du Château de Valeyres prouve encore une fois que son Gamay Confidentiel fait partie des grands rouges helvétiques. A noter que le millésime 2015, primé à Berne était aussi arrivé deuxième de la Sélection des Vins Vaudois 2017 (devant la Cuvée Origine, le Gamay élevé en cuve de ce domaine des Côtes-de-l’Orbe). «2015 était un millésime très riche, offrant de belles maturités, surtout sur les parcelles sélectionnées pour la gamme Confidentiel. En ce concerne l’élevage, nous avons gardé la même ligne depuis 2004, tout en affinant chaque année le choix des barriques et des types de chauffe», explique Benjamin Morel qui estime que 2017 devrait offrir une qualité similaire, mais en affichant un profil aromatique plus élégant encore que le très ensoleillé et très opulent 2015.

Cet article est paru dans le Guillon N°52 du printemps 2018

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Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

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