Le contrôle des vins en Suisse

Philippe Hunziker, directeur du Contrôle Suisse du Commerce des Vins Photo: Alexandre Truffer

Philippe Hunziker, directeur du Contrôle Suisse du Commerce des Vins
Photo: Alexandre Truffer

Qui contrôle les vins suisses?
L’organisme que je dirige contrôle les producteurs qui achètent plus de 2000 litres de vin par année et les négociants. Jusqu’en 2002, les propriétaires-encaveurs – qui mettent en bouteille leur propre récolte et achètent moins de 2000 litres de vin par année – n’étaient pas contrôlés. Suite à l’entrée en vigueur des accords bilatéraux, ces vérifications sont réalisées soit par l’Organisme Intercantonal de Certification (OIC), soit par les chimistes cantonaux. Ces derniers effectuent aussi des contrôles phytosanitaires ayant pour but de vérifier que les seuils maximums de substances chimiques ne sont pas dépassés.

Qu’en est-il des vins étrangers?
C’est une prérogative du Contrôle Suisse du Commerce des Vins (CSCV). Nous vérifions les étiquettes ainsi que les documents d’accompagnement pour les pays qui sont dans l’Union Européenne. De tels documents valent aussi pour l’exportation en Suisse. Pour les autres pays, il faut que l’importateur dispose d’un certificat d’origine fourni par le pays producteur.

Concrètement, comment se déroulent les contrôles?
Nous vérifions la conformité des produits avec leur appellation d’origine, étudions la comptabilité de cave pour nous assurer que les coupages et les assemblages respectent la législation en vigueur. Lorsque l’inspecteur constate une irrégularité, il ne prend pas de décision immédiate, mais consulte sa hiérarchie, puis en discute avec moi. Comme nous n’avons aucune compétence pour prendre des sanctions, nous décidons ensuite de transmettre ou non le dossier au chimiste cantonal qui peut infliger des sanctions administratives, voire dénoncer les cas graves à la justice pénale. C’est également lui qui a le pouvoir de décider si une étiquette incorrecte, par exemple, peut être simplement corrigée ou si le lot incriminé doit être retiré du marché.

Combien y a-t-il de contrôles par année?
En 2013, nos sept inspecteurs ont contrôlé 1265 entreprises. Soit à peu près un tiers des plus de 3000 commerces de vin enregistrés en Suisse.

Quelles sont les sanctions prévues par la loi?
L’arsenal législatif va de l’avertissement à une peine maximale de 40 000 francs d’amende. Bien sûr, si d’autres articles du code pénal (faux ou escroquerie) sont concernés, les peines augmentent en conséquence.

Lors d’une conférence de presse en début de ce mois, vous annonciez des modifications afin d’améliorer l’efficacité des contrôles. Qu’est-ce que cela va changer?
Le problème était que certains lots de vins en vrac transitent d’un propriétaire-encaveur (contrôlé par l’OIC) à un négociant (contrôlé par le CSCV). Comme les deux organismes collaboraient peu, cela laissait une zone grise propice aux fraudeurs. Nous allons désormais échanger davantage d’informations et faire des contrôles conjoints pour régler cette question. Nous allons aussi avoir plus d’informations sur le suivi des cas que nous dénonçons au chimiste cantonal.

C’était d’ailleurs un point que vous déploriez depuis plusieurs années dans vos rapports annuels…
En effet, à cause de la loi sur la protection des données, nous ne savions pas quelles sanctions étaient infligées. Nous n’avons pas besoin de savoir quelle amende était attribué à quel producteur en particulier, mais si nos décisions sont annulées parce qu’un point de la législation est sujet à controverse, il faut que nous en soyons informés.

Ne serait-il pas plus simple qu’un seul organisme s’occupe de tous les contrôles?
C’est ce que nous avions proposé il y a dix ans quand le contrôle des propriétaires-encaveurs a été mis sur pied Mais une autre solution a été proposée. Pour changer cela, il faudrait une volonté politique du parlement ou de la profession.

Les affaires sorties récemment concernent surtout des fraudes portant sur des assemblages irréguliers. Y a-t-il eu en Suisse des affaires d’ajout de produits interdits ou toxiques dans le vin comme l’antigel en Autriche ou le méthanol en Italie?
Dans les années 1980, il y a eu un cas d’adjonction d’édulcorant synthétique dans du vin suisse, mais nous n’avons jamais rencontré de fraude qui impliquait l’ajout de produit toxique. Et ce, malgré les tests réguliers organisés par les chimistes cantonaux au niveau national pour rechercher des substances interdites qui pourraient être ajoutées dans le vin. En ce qui concerne les vins étrangers, des lots ont été retirés suite à l’adjonction de glycérine ou d’autres produits pour arrondir le vin. Dans ce genre de cas, le produit est soit renvoyé dans son pays d’origine, soit détruit.

Peut-on importer un vin élaboré selon des méthodes interdites en Suisse?
Depuis vingt ans, oui,  c’est possible. Auparavant, le vin devait correspondre à la législation helvétique. Au milieu des années 1990, la Suisse a signé un accord international stipulant qu’un produit conforme à la législation du pays producteur ne pouvait être refusé sauf s’il posait un problème de santé. Ce principe a été appliqué quand des vins venant d’Argentine et d’Afrique du Sud avaient été traités avec un fongicide interdit en Europe en raison de son utilisation  en médecine humaine.

Dans votre rapport 2012, vous mentionnez des problèmes récurrents avec l’application des bilatérales. Quels sont-ils?
Il est devenu presque impossible d’obtenir de certains pays membres de l’UE les documents d’accompagnements pour les vins importés, car l’Union Européenne a créé un système de déclaration d’AOC informatique auquel la Suisse n’a pas accès.

A quel point notre pays s’aligne-t-il sur l’Europe en termes de législation?
Jusqu’en 2008, la Suisse reprenait de manière systématique la législation européenne et les prescriptions changeaient parfois deux fois par année. Depuis, l’administration fédérale a tiré le frein à main. Il n’y a plus eu de modification de taille jusqu’au 1er janvier de cette année, lorsque le Conseil Fédéral a modifié l’Ordonnance sur la viticulture et le Département de l’Intérieur l’Ordonnance sur les boissons alcooliques pour la rendre euro-compatible. Ainsi la législation suisse autorise désormais l’édulcoration avec du moût concentré rectifié, une pratique autrefois strictement interdite qui consiste a ajouter du sucre de raisin sur un vin fini pour lui donner plus de rondeur ou pour cacher de l’amertume.

D’une manière générale, peut-on dire qu’il existe un problème de fraude dans le vignoble suisse?
Les fraudes en Suisse sont sans commune mesure avec celles enregistrées dans d’autres pays. Les cas qui font la une des journaux concernent quelques centaines de milliers de litres et non pas des dizaines de millions, comme cela a pu arriver dans certains pays voisins. Etant donné que les vins suisses s’exportent très peu, les grands producteurs helvétiques sont très dépendants du marché intérieur que, dans leur grande majorité, ils font tout pour être en règle. Ces contraintes dues à un marché unique font que si on les accuse de mettre des produits interdits dans leurs vins, ils risquent la mort économique. Bien entendu, il y a toujours des moutons noirs et c’est notre travail de les dénoncer.
Propos recueillis par Alexandre Truffer

Bon à savoir
Garantir l’origine et l’authenticité des vins
Le Contrôle Suisse du Commerce des Vins (CSCV) est chargé d’examiner le respect des dispositions juridiques relatives aux vins. Son objectif est la protection des désignations géographiques afin de garantir l’authenticité des produits ainsi que les conditions générales établies pour une concurrence équitable de l’économie vinicole. Créée en 1945 par le Conseil fédéral et financée par les entreprises soumises à son contrôle, cette commission extraparlementaire permanente a changé de statut en 2008 pour devenir une fondation de droit privé. Elle est présidée par le Conseiller aux Etats fribourgeois Urs Schwaller.

Entretien paru le 28 mai dans Terre & Nature.

Article lié: Histoire des fraudes dans le vin

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Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

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