Histoire des fraudes dans le vin

«La moralité est tombée si bas qu’on ne vend plus que les noms des crus et que la récolte est frelatée dès la cuve». Cette citation de Pline, auteur latin du 1er siècle montre que la question de la fraude n’a rien de nouveau. De fait, le coupage avec de l’eau, les tricheries sur les appellations ou les mélanges interdits ont été pratiqués à des degrés plus ou moins importants dans toutes les régions viticoles. A côté de ces tromperies, des produits supposés améliorateurs ont toujours été utilisés pour donner de la couleur, enlever des mauvais goûts ou adoucir. Si la majorité des additifs «œnologiques» sont totalement inoffensifs pour l’homme, certains apprentis-sorciers ont parfois utilisé des produits toxiques comme la litharge, un dérivé du plomb destiné à atténuer la verdeur d’une cuvée trop aigre, ou le méthanol, de l’alcool de bois qui peut rendre aveugle et tuer.

Photo: Alexandre Truffer

Photo: Alexandre Truffer

Outre l’affaire Giroud qui concerne des dépassements de coupage de 2% à 3% sur un total estimé de 350’000 litres de vin pendant trois ans et l’affaire de La Côte qui concerne plusieurs dizaines de milliers de litres de vin produits hors des quotas, diverses affaires ont occupé les chimistes cantonaux en Suisse. En 2013, le CSCV a dénoncé pour faute grave ou répétée (coupage ou mauvais étiquetage) 18 entreprises et l’OIC 9 propriétaires-encaveurs. Les affaires ont donné l’impression que le vignoble suisse connaissait une situation de fraude généralisée. Nous avons consulté les archives pour savoir si les vignerons d’ailleurs et d’avant ont fait pire : les cas évoqués ci-dessous démontrent que oui! A noter que cet inventaire n’est pas exhaustif, mais résulte d’une simple recherche sur internet et ne recense que les cas les plus marquants.

1973
France/Bordeaux
Trois millions de bouteilles de Bordeaux largement coupés de rouges de mauvaise qualité sont vendues par Lionel Cruse, propriétaire du Château Pontet-Canet, et divers complices sous des appellations renommées.

1985
Autriche
36 millions de bouteilles de vin autrichien auquel avait été ajouté de l’antigel sont détruites. Les faibles doses utilisées avaient pour effet d’adoucir le vin, mais étaient sans danger pour la santé. Plusieurs dizaines de producteurs et de revendeurs de vin sont jugés et des condamnations de prison ferme sont prononcées.

1986
Italie
Une vingtaine de personnes décèdent suite à l’ingestion de vin frelaté qui contient des doses conséquentes de méthanol destinées à augmenter le degré alcoolique des vins. Durant les investigations, les inspecteurs trouveront des doses potentiellement mortelles dans 300 cuvées différentes.

1998
France/Bordeaux
200’000 bouteilles du deuxième vin de Château Giscours (3ème Cru Classé de Margaux) ont été coupées d’eau ou de vin de moindre qualité. Le jugement n’a pas été rendu public, mais de la prison avec sursis et des amendes ont été requises.

2005
France/Jura
Cinq responsables d’une coopérative viticole du Jura français sont condamnés à des peines de prison avec sursis et à des amendes pour des coupages et des assemblages interdits. La répression des fraudes découvre aussi que de l’éthanal, qui donne des arômes typiques de vin jaune, a été ajouté dans 350’000 bouteilles.

2008
Italie
Des producteurs de Brunello di Montalcino, de Chianti Classico et de Rosso di Montalcino sont accusés de coupages illégaux. 1.7 millions de litres sont déclassés et 100’000 bouteilles envoyées à la distillation. Le cas est toujours devant la justice.

2010
France/Languedoc
De 2006 à 2008, 18 millions de bouteilles de Red Bicyclette sont vendus par l’entreprise Gallo. Ce Pinot Noir français acheté à la coopérative du Languedoc Sieur d’Arques était en réalité du Merlot et du Syrah. Les gains estimés de cette affaire sont de 7 millions d’euros. Des condamnations à de la prison avec sursis et des amendes de 1500 à 180 000 euros ont été prononcées.

2012
France/Bourgogne
Quatre responsables de la société Labouré-Roy, en Bourgogne, sont mises en examen pour des faux sur les étiquettes et des mélanges interdits portant sur 2 millions de bouteilles. Le cas n’a pas encore été jugé.

2013
Etats-Unis
A New York, un tribunal américain juge Rudy Kurniawan coupable de contrefaçon. Le FBI trouve chez lui un laboratoire pour fabriquer des vieux millésimes rares de grands crus prestigieux à partir de vin de qualité standard. La fraude se compte en millions de dollars. Le verdict, qui pourrait atteindre les 40 ans de prisons, est attendu pour le 29 mai.

2014
Chine
Les faux Bordeaux – des rouges chinois bas de gamme qui sont embouteillées dans des flacons imitant à la perfection des marques prestigieuses – sont devenus un pan important de l’industrie de la contrefaçon chinoise depuis une dizaine d’années. Les chiffres des experts vont du simple double puisque la proportion de contrefaçons constituerait entre 30% et 70% du marché des grands crus.

En Suisse
1933
Lausanne
Jules Beltrami de Bovernier est reconnu coupable d’avoir vendu pendant sept ans des vins de France et d’Espagne sous les appellations Dôle, Fendant et Fully du Valais. Le ministère public a requis 1000 francs d’amende et 20 jours d’emprisonnement.

1994
Lavaux
34’000 litres d’Epesses sont vendus pendant plusieurs années sous l’appellation Calamin par un producteur de Lavaux. Le Tribunal de Vevey le condamne à six mois de prison avec sursis et à plus de 40’000 francs d’amende.

1994
Lavaux
Plus de 25’000 litres de rosé algérien et de rouge algérien sont mélangés à des Gamay et de Pinot de Chardonne et de Saint-Saphorin. Un vigneron et un négociant en vins sont condamnés à de la prison avec sursis et des amendes.

2005
Lavaux
Des négociants de la région vendent plusieurs dizaines de milliers de litres de faux Saint-Saphorin, une appellation ravagée par la grêle cette année-là. Ils seront condamnés à près de 200’000 francs d’amende.

Article lié: Entretien avec Philippe Hunziker, directeur de la Commission suisse du contrôle des vins.

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Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

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  1. Le contrôle des vins en Suisse : RomanDuVin.ch | 18 juillet 2014

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