Le vin sacré trait d’union (épisode 6: l’époque moderne)

Au coeur de l’Europe, le Valais est depuis trois millénaires sur le chemin des grandes routes reliant le sud et le nord du continent. Marchands, soldats, religieux, artisans, intellectuels, voyageurs et exilés ont traversé cette région. Tous y ont séjourné, certains s’y sont installés apportant avec eux des idées, des coutumes, des plantes et des innovations qui ont façonné cette région. L’un des pôles d’attraction importants du Valais a toujours été l’Abbaye de Saint-Maurice, qui possède des vignes depuis sa création, il y a plus de 1500 ans.

La vision d’un Valais enfermé entre ses montages et peuplé de goîtreux vivant leur courte vie sans jamais sortir de leur village, ni croiser un seul étranger jusqu’à ce que les cantons voisins les délivrent de leur enfermement en construisant le chemin de fer est une image d’Epinal malheureusement courante. Elle s’entrecroise souvent avec celle du Moyen-Âge, que les esprits simples résument à une «période sombre» durant laquelle une population en semi-servitude multipliait les pratiques superstitieuses en vue de survivre à la faim, aux pestes et aux bûchers. Parfois, ces beaux esprits s’étonnent tout de même qu’entre deux autodafés, cette Europe médiévale ait eu le loisir d’inventer l’université (Bologne 1088, Oxford 1116, Paris 1120) et la littérature arthurienne ou d’émailler le continent de cathédrales. De même, le Valais, pays de cols traversé par les routes reliant l’Italie – qui était la porte d’entrée vers Byzance, la route de la Soie et celle des épices – et les puissants royaumes du nord (Saint-Empire Romain Germanique, France, Angleterre) a été énormément influencé par les voyageurs qui l’ont traversé, comme par les pérégrinations de ses autochtones. Et tout particulièrement au Moyen-Âge, une période complexe qui débute au 5e siècle, à la chute de l’Empire romain, et se termine mille ans plus tard, au 15e siècle. Les plus impressionnants témoignages de ces échanges qui ont métamorphosé le canton et ses habitants, mais aussi sur son vignoble, sont exposés dans le trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice. Plus ancien monastère en activité d’Europe occidentale, ce couvent, fondé en 515, peut sans doute aussi revendiquer le titre de plus vieux propriétaire viticole du monde. Au travers de quelques pièces maîtresses forgées à Rome, à Paris ou en Inde, ce reportage entend rappeler le rôle de carrefour entre Orient et Occident, entre nord et sud des Alpes, entre latins et germains, qu’a joué depuis deux millénaires le Valais.
www.abbaye-stmaurice.ch

Reliquaire de la Sainte-Epine Photo: Abbaye de Saint-Maurice

Reliquaire de la Sainte-Epine
Photo: Abbaye de Saint-Maurice

Reliquaire de la Saint-Epine
En février 1262, l’abbé Girold apporte des ossements des martyrs de la légion thébaine à Senlis, l’un des plus anciennes résidences du roi de France. Le souverain Louis IX a organisé un échange. Les restes de Maurice et de ses soldats seront conservés dans la chapelle que celui qu’on connaît mieux comme Saint Louis fait ériger en mémoire du martyr égyptien. En échange, il offre un petit reliquaire contenant l’un de ses biens le plus précieux, une épice de la couronne dont aurait été coiffé le Christ durant sa passion. Selon la tradition, la couronne d’épine aurait été retrouvée par Saint Hélène, la mère de Constantin, le premier empereur chrétien en 326. Trois siècles plus tard, les empereurs d’orient qui craignent que Jérusalem ne tombe entre les mains des Perses transfèrent les plus précieuses reliques à Byzance. En 1238, Saint Louis l’acquiert pour un 135 000 livres tournois, soit plus de 900 kilos d’or, une somme faramineuse pour l’époque. Afin de lui offrir un écrin à sa mesure, le roi ordonne la construction de la Saint-Chapelle, l’un des plus beaux édifices de l’architecture gothique, sur l’île de la Cité à Paris.

La création des frontières modernes
En 1525, les représentants d’Yvorne, de Corbeyrier et de Leysin se plaignent d’un péage établi à Saint-Maurice qui les empêche «de conduire, ou faire conduire, comme leurs ancêtres ont depuis longtemps coutume, leur vin […] en direction de Martigny et au-delà». Cet exemple montre que le dilemme entre libre-circulation des marchandises et défense de la production locale ne date pas d’aujour’dhui. De fait, le protectionnisme, relativement peu pratiqué avant la Renaissance, semble se renforcer au début de l’époque moderne. Les archives regorgent d’interdictions d’importations, de demandes d’exemptions et de jugements de contrebandiers. A cette époque déjà, les élites marquent un appétit important pour les crus d’origine étrangère. Ce goût «qu’on peut imaginer forgé par les expériences mercenaires, précise l’historien Pierre Dubuis» explique que l’on retrouvera dans l’inventaire des caves de Charles-Emmanuel de Rivaz, politicien influent de la fin du 18e, un tonneau de vin rouge de France. Tandis que Charles-Joseph, son père, préférait pour sa part les vins fortifiés de Chypre et de Malaga qu’il importait pour des sommes considérables.

Alexandre Truffer
Cet article fait partie d’un dossier sur l’histoire du vignoble valaisan vu au travers du trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice, le plus ancien propriétaire de vignes au monde paru dans le hors-série Valais 2017.

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