Drosophile Suzukii: nouveau fléau viticole

Drosophile Suzukii mâle Photo: Martin Hauser CC-commons wikipedia

Drosophile Suzukii mâle
Photo: Martin Hauser CC-commons wikipedia

Qu’est-ce que la drosophile Suzukii ?
En gros, un petite mouche d’origine japonaise introduite sur le continent européen au début du 21e siècle. Adepte des fruits rouges, elle pond ses larves dans les cerises, les framboises, les myrtilles et les raisins. Comme ses congénères européennes, elle tend à inoculer des bactéries acétiques, qui transforment le moût en vinaigre, dans les grappes qu’elle cible. Principale problème, la Suzuki dispose d’un ovipositeur, un dard qui permet de percer la peau des raisins sains pour pondre, alors que les mouchettes locales doivent attendre qu’un élément extérieur transperce la peau du raisin (guêpes, grêle) pour qu’elles puissent passer à l’action.

Quelle est sa zone de diffusion ?
Selon l’étude des entomologistes Alessandro Cini, Claudio Iorratti et Gianfranco Anfora paru en 2012 dans le Bulletin of Insectology, Suzuki est arrivé en 2008 en Europe où elle a été recensée en Italie et en Espagne. Elle s’est dirigée l’année suivante en France et a été découverte en 2011 dans tout l’Europe occidentale (Suisse, Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Slovénie et Croatie). Selon le magazine bio-actualité (article de l’entomologiste Claudia Daniel), elle aurait progressé de 1400 kilomètres par année et colonisé des zones dépassant les 1000 mètres d’altitude. La Suzuki a aussi pénétré en Amérique du Nord en 2008 et s’y développe de manière similaire.
Le même article explique que «La température optimale pour la multiplication de cet insecte se situe entre 20 et 25 °C. Le cycle de génération étant de seulement 10 jours dans ces conditions, jusqu’à 15 générations sont possibles par année. Vu que les drosophiles adultes peuvent vivre pendant 2 mois, plusieurs générations apparaissent en parallèle, ce qui explique l’énorme pression infectieuse qui se développe à la fin de l’été et en automne.»

Quels sont les moyens de lutte ?
L’animal connaît semble-t-il les mêmes prédateurs (araignées, autres insectes, petits insectivores) que les drosophiles locales mais se révèle peu sensible aux parasites locaux.
Comme le présentent plusieurs des reportages listés au bas de cet article, la Suzuki n’attaquerait que les fruits de couleur rouge. L’une des techniques de lutte consisterait donc à asperger les raisins rouges de kaolin, une argile blanche, ce qui camouflerait les raisins aux yeux de la bestiole. Malheureusement, certains retours laissent désormais penser que si la baie est mûre, Suzuki ne serait pas si difficile après tout.
L’Office fédéral de l’Agriculture a autorisé l’usage de deux pesticides (Spinosad et Pyrethrum), y compris sur les plantations bio. Néanmoins, l’OFAG prévient que les résultats sont au mieux aléatoires et que «Selon les essais italiens de l’année dernière, on sait que les traitements dans les cultures de cerises sous filet ont eu une efficacité partielle, tandis que les traitements même intensifs sur des cerises et des baies non couvertes n’ont donné aucun résultat (dégât=100%).»

Quelles sont les conséquences à long terme?
Difficile à dire et c’est ce qui motive la sortie relativement tardive de cet article. Certains l’ont déjà comparé au phylloxéra, d’autres considèrent que l’on panique à tort et que les moyens de lutte sont pires que le mal. Les informations ont tendance à évoluer de jour en jour: il y a eu la panique, puis le soulagement parce que les cépages blancs n’étaient pas attaqués, suivi du constat que la bise faisait tomber tous seuls les grains attaqués avant un retour par la case panique en découvrant qu’en arrivant à maturité, les cépages blancs n’étaient pas si immunes que cela après tout. De fait, il faudra attendre la fin des vendanges et des fermentations alcooliques (afin de voir si des arômes vinaigrés persistent dans le vin malgré les efforts de tri) pour tirer un bilan sérieux. D’autant plus que l’hiver particulièrement doux a sans doute favorisé la multiplication de ce nuisible et qu’il est encore difficile de savoir si la situation actuelle sera exceptionnelle ou deviendra la norme.

Quelle sont les conséquences pour la vendange 2014 ?
a)      Un partie de la récolte – dans des proportions encore inconnues – sera perdue.
b)      Les vendanges ont été avancées, ce qui sous-entend que les raisins sont récoltés en sous-maturité. La qualité sera donc plus faible qu’espérée, mais sans que l’on puisse non plus estimer ce facteur.
c)      L’utilisation de traitements (pesticides ou argile) ainsi que la généralisation du tri augmente les coûts de production.
d)      En cas de tri insuffisant, la présence de piqure acétique dans les moûts pourrait poser des problèmes conséquents en cave.
e)      L’utilisation de pesticides, que l’on essaie de diminuer dans le vignoble depuis 25 ans grâce à la confusion sexuelle ou à la lutte biologique, pourrait causer un dégât d’image important.

Chronologie du développement de la Suzukii:
17 janvier 2013

Journée d’information de Vitiplus sur la Suzukii présentée par P.Kehrli et Ch. Linder de l’Agroscope qui montre que les premiers dégâts sont recensés au Tessin

10 septembre 2013
Communiqué officiel de l’office cantonal valaisan de la viticulture qui rappelle que les traitements contre la Suzukii ne peuvent être faits qu’avec une autorisation spéciale de leurs services. Le texte précise que les traitements chimiques se sont révélés inefficaces et peuvent engendrer des résistances.

11 septembre 2014
Article de Paul Vetter qui met la Suzukii sur le devant de la scène. On y apprend que la situation est préoccupante en Valais, ce qui explique les traitements tardifs dans le vignoble.
Prise de position immédiate de Frédéric Rouvinez qui considère que les traitements chimiques sont contreproductifs et que la seule solution consiste en des vendanges précoces.
La coopérative Provins publie un communiqué de presse qui annonce l’ouverture anticipée des vendanges à partir du 17 septembre.

12 septembre 2014
Suzukii à l’honneur du 19h30. Reportage de Flore Dussey chey Reto Müller qui estime qu’il va prendre 50% de son Gamay.

16 septembre 2014
24 heures relaie à son tour l’information en laissant entendre que le problème est surtout valaisan.

Reportage de Fabienne Pambianco-Carella pour Couleur Locales (RTS) qui visite Changins ainsi que le vignoble de La Côte, montrant que le problème est général. On apprend avec Reynald Parmelin que les raisin blancs sont aussi en danger et que la mouche est là pour rester.

17 septembre 2014
Article d’Agrihebdo qui met en avant une exagération de la situation réelle par surmédiatisation et effet de bouche-à-oreille et pointe aussi le fait que les traitements (kaolin et insecticides spinosad et pyrèthre naturel) sont en rupture de stock.

18 septembre 2014
Reportage de Samuel Bonvin de Canal 9  dans lequel Didier Joris estime que les pertes se monteront à 10 à 15% de la vendange.

Reportage d’Alexandre Bochatay pour le 19h30 qui présente le début anticipé des vendanges en Valais (10 jours d’avance).

23 septembre 2014
Actualité de Rhône FM présentant la requête de certains députés valaisans qui demande que les degrés de sucre exigés par les négociants pour le paiement intégral de la vendange soient abaissés.

A noter que le problème semble être européen, même si les médias paraissent peu enclins à parler de la question. Ainsi, un communiqué de presse de la promotion bourguignonne annonçait un bon millésime malgré « un tri nécessaire sur beaucoup de parcelles et la présence de drosophiles signalées par endroit ». Un communiqué optimiste qui semble contredit par cet article de la revue Anthocyanes intitulé: Drosophila Suzukii, la plaie de 2014?

About the Author:

Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

Post a Comment

You must be logged in to post a comment.