Confréries vaudoises: pouvoir et tradition

Rituels festifs et défilés d’épicuriens en robes colorées sont les manifestations les plus visibles des confréries bachiques. Dans le canton de Vaud, deux d’entre elles, le Guillon et la Confrérie des Vignerons, sont devenues des sociétés très influentes, et pas seulement dans le vignoble.

Ressat  Photo: Conférie du Guillon

Ressat
Photo: Conférie du Guillon

De l’Antiquité jusqu’à la Révolution française, les corporations forment un  pan essentiel de la société. Elles se composent de personnes partageant une caractéristique commune, en général une même profession. Elles obéissent à une hiérarchie stricte, règlent la majorité des différents professionnels, supervisent la formation des apprentis et l’accession au titre de maître, fixent les tarifs et jouent parfois un rôle politique non négligeable. Dans les régions viticoles, les vignerons s’organisent eux aussi en guildes ou en corporations. En France, les plus anciennes de ces collectivités locales sont l’Antico Confrarie de Saint Andiu de la Galiniero à Béziers (1140), la Jurade de Saint-Emilion (1199) et le Consulat de la Vinée de Bergerac (1352). En Suisse, la situation varie au gré des cantons, mais le cas le Confrérie des Vignerons qui descend en droite ligne de d’une corporation médiévale, Abbaye de l’Agriculture, dite de Saint-Urbain, constitue une exception. La plupart des confréries bachiques sont, comme dans le reste de l’Europe, créées dans la deuxième moitié du 20e siècle afin de promouvoir les produits agricoles et de défendre le patrimoine d’une région. A cet égard, Vaud possède une place bien particulière. Outre la Fête des Vignerons, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO depuis 2016, le canton abrite la Confrérie du Guillon qui – par sa taille (plus de 4000 membres), son influence, la qualité de ses rencontres ou les moyens à sa disposition – joue dans une toute autre ligue que ses semblables des autres régions. Les confréries du Guillon et des Vignerons sont parfois vues comme la «franc-maçonnerie» du vin. Elles sont pourtant plus ouvertes que ce l’on pourrait s’imaginer comme l’expliquent le Gouverneur et l’Abbé-Président de ces institutions emblématiques du vignoble vaudois.

La Fête des Vignerons au patrimoine immatériel de l’Unesco
5200 figurants, 15 représentations accueillant chacune 15 000 visiteurs, un budget de 54 millions de francs, un bénéfice de plus de quatre millions: ces chiffres donnent une image de l’ampleur de la plus grand manifestation culturelle viticole au monde. Pourtant, le plus impressionnant des chiffres relatifs à la Fête des vignerons de Vevey peut se compter sur les doigts d’une seule main. A l’heure de la communication immédiate où la nouveauté d’hier s’avère obsolète aujourd’hui, organiser une manifestation cinq fois par siècle tient presque de l’acte révolutionnaire. Cette intemporalité compte sans doute parmi les arguments qui ont permis à la Fête des Vignerons d’intégrer la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en décembre 2016. Soit presque dix ans après, l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco de Lavaux, la région viticole qui surplombe Vevey.

A l’initiative de la Confrérie des Vignerons
La Fête des Vignerons émane d’une société d’utilité publique tout aussi atypique qui s’est appelée jusqu’au 18e siècle Abbaye de l’Agriculture, dite de Saint-Urbain. Fondée sans doute au Moyen-Âge, elle se considérait issue de « la Nuit des temps » et organisait des cortèges dans la bourgade de Vevey. Bien que les moines aient dû quitter Lavaux en 1536 avec l’arrivée de la réforme protestante, l’Abbaye de Saint-Urbain, comme plus tard la Confrérie des Vignerons, multiplie les références au monachisme. Elle adopte comme devise, le «ora et labora» (travaille et prie) des Cisterciens, est dirigée par un Abbé-président et ses membres sont appelés «frères» ou «moines». Gagnant en puissance au fil des ans, l’Abbaye se transforme en Confrérie des Vignerons. Un nom encore une fois étonnant puisqu’elle ne regroupe pas des travailleurs de la vigne, mais les propriétaires terriens qui confiaient la culture de leurs parcelles à des vignerons-tâcherons. En 1770, cette société décide d’encourager l’amélioration des techniques viticoles et d’encourager, par une cérémonie de couronnement, les meilleurs vignerons plutôt que de punir les moins capables. En 1797, une estrade pouvant accueillir deux mille spectateurs payants est dressée sur la Place du Marché de Vevey. C’est la première Fête des Vignerons.

Dix éditions en deux siècles
La seconde Fête des Vignerons a lieu en 1819. 4000 spectateurs paient leurs places entre un et trois francs pour assister à une parade de 750 figurants qui ont dû financer leur costume de leurs propres deniers. 1833, 1851, 1865 et 1889 voient l’événement rayonner toujours plus hors du territoire régional. Au siècle suivant, les Fêtes de 1905, 1927, 1955 et 1977 deviennent des événements culturels d’importance nationale qui cimentent toute une génération. Idem pour 1999, la dernière Fête des Vignerons qui a vu près de 200 000 personnes assister au cortège imaginé par François Rochaix. Entre deux éditions, les experts de la Confrérie inspectent régulièrement les parcelles de Lavaux afin de noter le travail des tâcherons. En effet, deux siècles après sa création, ce n’est pas le vin qui est honoré mais bien le travail minutieux et précis de ces vignerons qui cultivent la vigne d’un propriétaire.

Le Guillon
Créée en 1954, la Confrérie du Guillon est devenue en quelques décennies un pilier du vignoble vaudois. Maintenant une étiquette exigeante, elle organise ses ressats au Château de Chillon et décline ses cotterds dans toute la Suisse. Petit cours d’initiation pour les non-initiés.

Le Guillon
«Petite cheville de bois conique, longue d’environ cinq centimètres, servant à obturer un trou pratiqué dans la douve du tonneau. En faisant coulisser le « guillon » d’une main sûr et adroite, on permet au vin de se frayer un passage jusqu’au verre – tenu de l’autre main – placé pour le recevoir. Cet ancestral vocable vaudois a donné son nom et son symbole à la Confrérie du Guillon», explique le site de la Confrérie. Pour devenir compagnon, tout requérant doit prouver sa capacité à se servir un verre de vin en «tirant au guillon» sans éclabousser l’assemblée.

L’histoire
Signée en 1954 au Château de Glérolles, la charte de la Confrérie du Guillon précise les buts de cette confrérie bachique qui revendique aujourd’hui plus de 4000 compagnons. Elle entend « illustrer et promouvoir les vins et les vignobles vaudois ». Pour ce faire, elle s’appuie sur un exécutif d’une quarantaine de Conseillers dirigée par un Gouverneur. Ce sont eux qui organisent les ressats, gèrent la revue bilingue coéditée par la Confrérie et administrent les cotterds  en Suisse et à l’étranger.

Les ressats
Encadré par un protocole strict et exigeant des convives un respect d’un code précis de bienséance, les ressats du Château de Chillon débutent par les nouvelles intronisations. Ce rituel de six heures débute par le Prière du Compagnon, prononcée par le Gouverneur, et les Règles de Table, énoncées par le Héraut. Chaque vin et chaque plat sont présentés avec lyrismes par les Chantres des Vins et les Clavendiers, tandis que trompettes, cor des alpes et chanteurs rythme les intermèdes. A ne jamais oublier, il est interdit de goûter son vin avec que le Gouverneur ait proclamé «Mettons ce vin en perce !».

Les cotterds
Ambassades du vin vaudois en terres étrangères, les cotterds sont dirigés par un préfet et développent des activités autonomes. La plus significative est le «Guillonneur», soirée gastronomique et festive couronnée par un concours de dégustation de vins vaudois à l’aveugle. La Confrérie compte deux cotterds en Romandie (Jura et Fribourg), un au Tessin, six en Suisse alémanique (Argovie, Bâle, Berne, Lucerne, Saint-Gall et Zurich) et un en Savoie.

Les Quatre Heures du Vigneron
A la fin de l’été, les compagnons du Guillon partent découvrir un village vaudois, ses vins et ses vignerons. Ce sont les Quatre Heures du Vigneron, une activité beaucoup moins protocolaire que les ressats. Sorte de «Garden Party» à la vaudoise,  ce goûter gastronomique réunit des chefs renommés et plusieurs centaines de participants.

Cet article fait partie d’un dossier sur les conférires vaudoises paru dans le hors-série Vaud 2017

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