Comment le Savagnin Blanc s’est implanté à Genève

Longtemps confiné au Valais où l’on utilise en général les dénominations de Païen ou d’Heida, le Savagnin Blanc s’impose de plus en plus comme le cépage blanc tendance du moment. Planté avec succès sur les rives du Léman et du Lac de Neuchâtel, cette variété originaire du Jura français a convaincu une dizaine de vignerons genevois en une décennie. Avec un peu plus de trois hectares recensés, l’invasion n’est pas encore spectaculaire mais les blancs fruité et vifs qu’il permet d’élaborer rencontrent un franc succès auprès des restaurateurs comme de la clientèle privée. Introduit en 2003 dans le canton par Philippe Villard qui l’a découvert lors d’une assemblée professionnelle à Visperterminen, ce cépage s’est très bien adapté aux conditions naturelles de l’ouest lémanique. Résistant et rustique, il atteint des maturités élevées tout en conservant une acidité conséquente, élément essentiel de l’équilibre des vins, surtout dans un contexte de réchauffement climatique. Vinifié le plus souvent comme un vin blanc sec, le Savagnin peut – comme dans sa région d’origine où il fournit la base des vins jaunes – aussi donner naissance à des cuvées oxydatives atypiques très appréciées d’une petite clientèle d’amateurs avertis.

Rade de Genève Photo: © Olivier Michel Genève Tourisme

Rade de Genève
Photo: © Olivier Michel Genève Tourisme

Ils ont planté du Savagnin à Genève
Quelques-uns des producteurs ayant planté du Savagnin à Genève nous expliquent les raisons qui les ont poussés à importer ce cépage dans le canton. Attention, il ne s’agit pas d’une liste exhaustive. Ainsi Domaine Maigre du Domaine des Bonnettes et Emilienne Hutin Zumbach du Domaine Les Hutins  vinifient des Savagnin Blanc de haute tenue. Emilienne Hutin Zumbach produit aussi un Savagnin Rose aromatique, plus connu sous l’appellation Gewürztraminer, qui comme l’explique José Vouillamoz «n’est autre qu’un Savagnin Blanc ayant muté deux fois. Une première mutation a modifié la couleur, une deuxième le profil aromatique.»

2003
Domaine Philippe Villard
Premier producteur à avoir planté du Savagnin dans le canton, Philippe Villard a dû attendre 2007 pour vinifier son premier millésime. «La grêle de 2005 a anéanti les jeunes pousses plantées deux ans plus tôt.  Aujourd’hui, je cultive 3000 mètres d’une sélection valaisanne de Savagnin et je vais sans doute encore en replanter. C’est un cépage agréable à travailler, plutôt régulier d’un millésime à l’autre. Afin de conserver de l’acidité, je ne réalise pas de deuxième fermentation mais l’élève une saison en barrique. Cette vinification lui donne de la longueur et du corps, tout en conservant de la vivacité, ce qui explique l’intérêt qu’il suscite auprès des restaurateurs. Plusieurs cinq étoiles l’ont inscrit à leur carte, ce qui a contribué à faire de mon Savagnin Blanc la carte de visite du domaine».

2005
Domaine des Curiades
«En 2005, le domaine a planté en une fois 5000 mètres de Savagnin Blanc. L’objectif était de diversifier la gamme des blancs, donc aucun ne présentait de profil aromatique similaire, et de mettre sur le marché un cépage inconnu à Genève», explique x Dupraz, qui représente la cinquième génération sur ce domaine de quatorze hectares. Ce vin puissant et rectiligne  passe dix-huit mois en moyenne en barrique. «La durée de l’élevage dépend des millésimes. Nous avons décidé de ne pas pousser à une commercialisation rapide de ce blanc haut de gamme, mais de lui laisser le temps de s’affiner en cave. A l’heure actuelle, nous vendons, uniquement aux clients privés et aux restaurateurs, du 2012, un millésime qui est arrivé à son apogée.»
www.domaine-des-curiades.ch

2009
Domaine des Charmes
«Nous avons planté 3000 mètres de Savagnin Blanc acquis auprès de Philippe Villard sur une de nos plus belle parcelles. Il a fallu un peu de temps pour que les vignes s’enracinent correctement et donnent la première récolte. Vinifié sans sucre résiduel et sans fermentation malolactique, ce vin est élevé en barrique et sur lies pendant une année », explique Olivier Conne qui a rejoint depuis quelques années ses parents sur ce domaine de 9,5 hectares. «Sur le plan viticole, c’est une variété qui va dans le bon sens. Il s’avère peu sensible à la pourriture grise et demande, de par sa résistance naturelle, moins de traitements phytosanitaires. Du point de vue gustatif, avec sa structure et sa vivacité, il correspond parfaitement à ce que recherchent les restaurateurs.»
www.domainedescharmes.ch

Cave des Chevalières
«Les 1500 mètres que j’ai plantés sur le coteau de Lully en 2009 ont été ravagés par la grêle lorsqu’ils entraient en production. Il a fallu attendre 2015 pour récolter un premier millésime. Ce Savagnin devrait servir à l’élaboration d’un vin oxydatif, élevé sous voile, à l’image des vins jaunes du Jura. Je propose déjà un Chardonnay sous voile, qui sera peu à peu remplacé par ce Païen, qui présente une meilleure acidité et devrait offrir plus d’élégance, explique Sébastien Dupraz. Durant les six ans d’élevage en barrique, les levures s’agglutinent naturellement à la surface du vin pour former un voile qui empêche le vin de se transformer en vinaigre mais permettent une oxydation mesurée. Cela donne naissance à des cuvées très complexes qui enthousiasment les connaisseurs mais exigent d’être expliquées aux consommateurs qui les goûtent pour la première fois.»
www.cave-des-chevalieres.ch

2010
Domaine de Chafalet
«Si nous l’avons appelé l’hérétique, c’est un jeu de mots avec l’appellation valaisanne de Païen», s’amuse Guy Ramu. Sur son site internet, celui-ci explique que le nom du domaine vient de «chafale» un poste de vigie qui permettait de surveiller le trafic de marchandises le long de l’Alondon. Et observer, c’est le rôle que s’est donné ce solide vigneron avec son Savagnin Blanc. «En 2009, nous somme allés chez un pépiniériste de Schaffhouse avec Mathurin, mon fils, à qui je vais passer le témoin. Il désirait un blanc adapté à la gastronomie et a choisi le Savagnin.» Premiers ceps plantés l’année suivant, premier millésime vinifié en 2014, 2500 bouteilles, une vinification avec fermentation malolactique, un élevage mixte en barrique neuve et en cuve: «cela donne un blanc racé qui est apprécié par la clientèle privée et les restaurateurs d’un certain niveau, surtout ceux spécialisés dans les plats de poisson. »
www.domainedechafalet.ch

2011
Domaine des Vignolles
«Je suis un vigneron sans ligne», revendique Laurent Vulliez. «Je ne fais jamais la même vinification deux années de suite. La majorité des raisins du domaine sont cultivés pour la Cave de Genève. Je ne commercialise sous mon étiquette que des spécialités en petites quantités ou des vins que je vinifie pour le plaisir. Avec une production réduite et une clientèle que je connais bien, je peux élaborer des cuvées très différentes d’une année sur l’autre.» Son Picotin (Laurent Vulliez avoue une passion pour l’attelage, un sport équestre qui consiste à conduire une voiture tirée par des chevaux) a ainsi été vinifié pour la première fois avec un léger sucre résiduel en 2016. Planté sur 1500 mètres, le Savagnin Blanc est «un cépage sensible au millerandage, mais qui s’avère plutôt résistant aux maladies. Il possède une peau assez ferme et offre des taux de sucre très intéressant tout en gardant une belle acidité. Si les rendements sont limités, les résultats dans une région comme la nôtre se révèlent plus qu’intéressants. Pour tout vous dire, lorsque j’ai planté du Savagnin, je trouvais les Heida de Visperterminen trop gras et trop riche. Je me suis dit que, à Genève, ce cépage présenterait plus de fraîcheur et pourrait surprendre en bien.»
www.vignolles.ch

Domaine Dugerdil
«Je me suis tourné vers le Savagnin après avoir dégusté des crus venant du Jura, du Valais et de Genève. J’adore déguster et si un cépage me plaît, je m’efforce de le planter dans mon domaine. Je suis en train de planter de la Mondeuse, car j’ai goûté de très belle choses et il est certain que ce cépage est adapté aux conditions de la région», s’enthousiasme Sophie Dugerdil. «Pour revenir au Savagnin, j’ai étudié quels étaient les sols qui lui convenaient le mieux avant de le planter dans une parcelle pentue, bien drainée et profonde. En 2013, les 2000 mètres ont été touchés par la grêle et la première récolte n’a eu lieu qu’en 2015. Je l’ai vinifié sous bois et sans fermentation malolactique. Bien que la vigne soit très jeune, il présentait un magnifique potentiel lors de la mise en bouteilles. Depuis, ce vin passe par des phases assez différentes. J’ai donc décidé de ne pas pousser sa commercialisation et ne l’ai pas encore intégré à mon prix courant.»
www.domaine-dugerdil.ch

Cet article fait avec l’encadré sur les mille visages du Savagnin partie du dossier Savagnin Blanc: le bijou lémanique paru dans le hors-série 2017 sur Genève réalisé par VINUM et Swiss Wine Promotion.

About the Author:

Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

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