By 2 avril 2020 0 Comments Read More →

Vin des Glaciers: l’art de la générosité

Offrir l’hospitalité à l’hôte de passage : c’est peut-être la coutume qui a donné naissance au Vin des Glaciers. Emblématique du Val d’Anniviers, ce blanc atypique, élevé des décennies en foudre de mélèze, illustre la complexité des traditions nomades des Valaisans d’autrefois.

La cave de la bourgeoisie de Grimentz Photo: Pierre Vallet

La cave de la bourgeoisie de Grimentz
Photo: Pierre Vallet

«Le bâtiment de la Bourgeoisie de Grimentz date de 1498 comme l’on montré les analyses dendrochronologiques du bois», explique Véronique Tissières, la présidente de la Bourgeoisie de Grimentz. «La Bourgeoisie est née du regroupement des familles habitant le village afin de réaliser des travaux communautaires comme le nettoyage des bises et l’entretien des forêts. De plus, comme les habitants du Val d’Anniviers étaient des nomades qui passaient une partie de l’année en plaine, dans la région de Sierre, et le reste dans le Val d’Anniviers, ils avaient aussi instauré des systèmes de garde contre le feu et les pillages, poursuit celle occupe le conseil bourgeoisial depuis treize ans et le fauteuil de présidente, ou d’Abbé selon la terminologie traditionnelle, depuis cinq ans. Le bâtiment a aussi été érigé afin de pouvoir accueillir les visiteurs de passage venus pour un mariage, un enterrement ou une autre occasion. La mise en commun de moyens financiers, en plus de la mise en commun des efforts pour des travaux d’intérêt général, a créé la bourgeoisie qui a, au fil des siècles, acquis des vignes et des forêts.»

Un réglement complexe
Le deuxième samedi de janvier a lieu l‘assemblée générale de la Bourgeoisie, appelée journée de Rogations.«Les Autorités (les bourgeois ayant exercé une fonction politique ou militaire) se retrouvent à la cave. La journée commence par une prière. Ensuite, le Tsanio – un mot qui vient du patois – va mesurer les tonneaux. Autrefois, son rôle était de contrôler que le caviste, qui a son propre tonneau, ne buvait pas en cachette dans les tonneaux de la Bourgeoisie.» L‘assemblée est aussi l‘occasion d‘accueillir les jeunes qui atteignent leur majorité. «La bourgeoisie se transmet par le sang. A l‘âge de 18 ans, les enfants de nos membres peuvent se faire reconnaître à leur tour Bourgeois de Grimentz. Pour leur première cérémonie, il doivent rester debout et servir l‘assemblée. Autrefois, la bourgeoisie se gagnait ou se perdait par mariage, mais ce n‘est plus le cas depuis l‘entrée en fonction du nouveau droit du nom. Les Rogations permettent aussi d‘examiner les demandes de postulants qui ne feraient pas parties des familles-souches de Grimentz. Le réglement exige que la personne habite depuis cinq ans sur le territoire de l‘ancienne commune de Grimentz (en 2006 les communes ont fusionné, mais pas les bourgeoisies). Il y aussi une taxe d‘agrégation de 5000 francs à payer» poursuit Véronique Tissières qui reconnaît que les demandes restent relativement rares.

Un vin de transhumance
Propriétaire de 400 hectares de forêt et de 7000 mètres carrés de vigne – qui sont situées sur la commune de Sierre et sont travaillées par Jean-Pierre Monnet de la Cave du Vieux-Village – et actionnaire important des remontées mécaniques, la Bourgeoisie de Grimentz possède une cave à Sierre, une petite chapelle à l’entrée du village et le bâtiment du 15e siècle au milieu de Grimentz où dorment les célèbres Glaciers. «Le tonneau de 1886, le tonneau de l’evêque reçoit en moyenne 17 litres, qui sont tirés du tonneau du 1888, par année. Dans le tonneau de 1969, on met 200 litres par année de l’Ermitage de l’année, détaille Véronique Tissières. La Bourgeoisie est très impliquée dans la vie touristique du village. Nous offrons de nombreux apéritifs sur demande de l’office du tourisme et organisons également beaucoup de visites durant lesquels nous faisons déguster essentiellement l’Ermitage du tonneau de 1969 et le Glacier du tonneau de 1888. Le vin du Tonneau de l’Evêque n’est lui servi qu’en de rares occasions au public. En 2015, nous avons ouvert la cave à la population pour le bicentenaire de l’entrée du Valais dans la Confédération. Cette année, l’Evêque de Sion est venu visiter le village fin octobre. Nous avons donc suivi la tradition qui veut que son vin soit servi pour cette occasion spéciale.»

Vieilli et bu au tonneau
«Le Vin des Glaciers n’a pas le même goût dégusté au tonneau dans le Val d’Anniviers ou dans une bouteille en plaine. Depuis 2000, les bourgeoisies de tous les villages du Val d’Anniviers ont travaillé pour protéger cette tradition par une appellation. Nous avions demandé au Conseil d’Etat que le Glacier soit défini comme un assemblage de Rèze et d’Ermitage (Marsanne Blanche) et que sa commercialisation soit interdite. Les politiques ne nous ont pas suivi, et le Glacier, qui doit avoir été élevé vingt ans dans le Val d’Anniviers est un assemblage de cépages blancs. Idem pour la commercialisation», regrette Véronique Tissières. De fait, un seul producteur, Michel Savioz du  Château de Ravire, met en bouteilles un Glacier vieilli dans des foudres de mélèze à Ayer.  Bien entendu, pour l’amateur de vins hors du commun, une visite à la cave de le Bourgeoisie de Grimentz reste une expérience inoubliable. Il y a la montée dans le Val d’Annivers, suffisamment longue, même en voiture, pour accorder quelques pensées à ces montagnards d’autrefois qui transhumaient entre les villages d’altitude (1553 mètres au-dessus du niveau de la mer pour Grimentz). Affaire personnelles, vin, fromages, outils: tout transitait à dos d’homme ou de mulet. Une petite pensée aussi pour la Rèze, ce vieux cépage à l’acidité marquée, qui, très répandu dans tout l’arc alpin au Moyen-Âge, est resté la base du vin des Glaciers jusqu’à l’apparition du phylloxéra. L’Ermitage et, dans une moindre mesure, l’Humagne Blanche et la Malvoisie (Pinot Gris), ont alors pris la relève. «A Grimentz, nous n’utilisons pas du tout de Malvoisie. En 2005, nous avons replanté de la Rèze dans notre vigne. En 2008, nous avons rempli un tonneau de 900 litres. Lorsque le vin aura passé quinze ou vingt ans en tonneau, nous déciderons si cette Rèze moderne, sans doute plus fruitée et moins acide que les vins d’autrefois, mérite de réintégrer notre Glacier», précise la présidente de la Bourgeoisie. Dans la cave où trônent une partie des 216 channes offerte par les bourgeois depuis le 15e siècle, le visiteur pourra découvrir, ou redécouvrir, le plaisir de savourer un petit verre d’éternité entonné bien avant sa naissance par des paysans de montagne qui avaient fait de l’accueil un devoir sacré. «Les gens d’ici vivaient avec peu de moyens. Mais ils voulaient avoir quelque chose à offrir si une visite passait par là ou lorsqu’une occasion extraordinaire – naissance, mariage, enterrement – avait lieu. Les couples commençaient souvent leur tonneau l’année de leur mariage. En ce qui me concerne, j’ai vécu cette tradition lors du décès de mon grand-père. Après son enterrement, nous sommes allés à la cave boire son Glacier tiré, à la channe, d’un tonneau qui lui venait de mon arrière-grand-mère. Ce tonneau, dont personne ne connaît l’âge exact, a ensuite été transmis à ma mère. Un jour, il reviendra à notre génération.» En sirotant son Glacier – terme dont la signification exacte porte encore à controverse – dans un verre sans pied, le visiteur prendra alors conscience que l’ambition des Bourgeois de Grimentz n’est pas de faire revivre un folklore depuis longtemps disparu afin d’enrichir l’offre touristique. Le Glacier demeure aujourd’hui encore une tradition vivante respectée par des familles qui n’ont pas oublié que l’entraide a longtemps été le seul moyen de vivre en symbiose avec une nature peu accommodante. Longtemps moqué par les œnophiles, ce vin oxydatif, né d’une tradition de transhumance, compte aujourd’hui parmi les atouts de l’oenotourisme valaisan. «Le Glacier génère un intérêt toujours plus grand, confirme  Véronique Tissières. Surtout auprès des journalistes, qui sont de plus en plus nombreux depuis que Grimentz est devenu une étape du Grand Tour.
Alexandre Truffet

Cet article fait partie du dossier Oenotourisme paru dans le hors-série Valais 2017

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