Namibie: les vins d’Entre-Deux-Déserts

Fish River Canyon Photo: Alexandre Truffer

Fish River Canyon
Photo: Alexandre Truffer

Paradis des photographes, les vastes étendues désertiques de la Namibie constituent un environnement favorable pour quelques espèces animales spécialisées dans la survie en milieu aride. L’oryx, une antilope aux longues cornes pointues, la taupe dorée, un petit mammifère aveugle qui creuse ses galeries dans le sable, ou le solifuge, un arachnide nocturne de grande taille, ont trouvé dans les dunes rouges de Sossuslvei et dans les blanches ondulations de la Côte des Squelettes un isolement protecteur. Les habitants – descendants d’indigènes repoussés dans ces confins inhospitaliers par la pression de tribus plus agressives, petits-enfants de colons germaniques venus tenter leur chance dans la Deutsche West Afrika ou membres de communautés métisses ayant fui les préjugés de l’Afrique du Sud coloniale – semblent toujours quelque peu incongrus dans ce cadre dominé par une nature omnipotente. Sans les rivières de diamants disséminées dans cette terre peu généreuse, la Namibie n’aurait sans doute jamais intéressé les puissances coloniales – Allemagne et Afrique du Sud – qui développèrent les infrastructures du pays et amenèrent les premiers plants de vigne. Il est en général admis que les premières vignes de Namibie furent cultivées par des missionnaires catholiques dans la région de Klein Windhoek. 1884 est en général avancé comme date de plantation des premières vignes du Collège Saint-Paul qui élaborera du vin pour une consommation locale jusqu’en 1978, date de la mort du dernier missionnaire-vigneron. Les puissances coloniales, chacune à leur tour – 1904 pour l’Allemagne et 1950 pour l’Afrique du Sud – initieront des programmes de plantation d’olive et de vigne. Ces incitations n’auront pas grand effet, d’autant plus que le gouvernement de Pretoria changera d’avis quelques décennies plus tard et finira par interdire la production de raisins sur le territoire de son protectorat namibien afin de protéger les producteurs sud-africains.

D’un désert à l’autre

Dunes de Sossusvlei Photo: Virginie Jobé

Dunes de Sossusvlei
Photo: Virginie Jobé

L’oenophile de passage en Namibie découvrira en une rapide recherche sur internet qu’il existe aujourd’hui une «Namibia’s Wine Route Between 2 Deserts». Il téléchargera une carte qui lui proposera de débuter son voyage à Neuras, dans les marges du désert du Namib, pour le terminer à Kombat, aux confins du Kalahari. Entre les deux se niche une troisième cave, près de la localité d’Omaruru. Ce que le document ne dit pas c’est le parcours pour relier ces trois caves, qui élaborent en commun quelque dizaines de milliers de bouteilles, représente un périple de près de 1200 kilomètres sur un mélange de routes asphaltées et de pistes de terre battue. Pas de doute, cette route des vins est à la fois la plus longue et la plus aventureuse du monde. Il y a de fortes chances que notre oenophile courageux début son périple à Windhoek. Muni d’un GPS, d’un carte à l’ancienne en cas de défaillance du précédent, de vingt litres d’eau – le minimum pour survivre deux jours dans le désert – et ayant pratiqué le changement de pneu et la conduite sur sable (qui possède de paradoxales ressemblances avec la conduite sur neige), il sera rendra vite compte qu’il se trouve à quelque centaines de kilomètres du point de départ, ou d’arrivée, de cette Namibia’s Wine Route. Pour se donner du courage, notre voyageur devrait réserver sa soirée au Gathemann Restaurant. Il y croisera le consul honoraire de Suisse, Urs Gamma, qui outre ses devoirs diplomatiques dirige la meilleure table du pays. Désireux de mettre à l’honneur les spécialités du terroir namibien – asperges de la côte, truffes du Kalahari, glace au Maguni et chasse régionale -, cet expatrié qui a décidé de se mettre au fourneau il y a un quart de siècle propose une très intéressante sélection de vins. Sur sa carte se mêlent des domaines sud-africains en mains helvétiques (à l’image de Création Wine du neuchâtelois Jean-Claude Martin ou de Glenn Carlou, propriété de la famille bernoise Hess) et la plupart des vins produits par le vignoble namibien. De fait vu les faibles volumes produits par la poignée de caves namibienne, ce restaurant représente la meilleure chance de déguster un assemblage de Neuras ou une Syrah de Tonningii. Un carpaccio de Springbok aux asperges, un filet d’oryx et une farandole de dessert d’inspiration germanique plus tard, il est temps de partir à la découverte de la Namibia’s Wine Route. Première étape, les montagnes de Naukluft, en bordure du désert du Namib, à la recherche d’une oasis baptisée Neuras, ce qui signifie le «lieu de l’eau abandonnée» dans le dialecte local.

Bacchus protecteur de la faune

Guépard à Neuras Winery and Wildlife Foundation Photo: Alexandre Truffer

Guépard à Neuras Winery and Wildlife Foundation
Photo: Alexandre Truffer

«Le vin est un moyen de financer la conservation de la faune», explique Ivan Philipson, le responsable de la Neuras Winery. Pour ce Namibien d’origine afrikaner qui, avec sa femme Ilze et ses trois enfants, a pris les rênes de ce domaine viticole il y a deux ans le vignoble, comme les chambres d’hôtes ou l’organisation de séjours payants pour des volontaires en quête d’aventure encadrée sont des moyens de financer une cause en laquelle il croit. «La Nankuse Fondation a pour objectif de trouver des modus vivendi entre les prédateurs – léopards, guépards, lycaons, caracals – et les habitants des zones rurales de la Namibie. Notre organisme recherchait un domaine à acheter dans la région de Neuras, car celle-ci, principalement consacrée à l’agriculture et à l’élevage extensifs, abrite encore un grand nombre de léopards. La Fondation a pu acquérir ce domaine 2012 et déjà les projets de recherches engagés par nos biologistes ont déjà permis de modifier les mentalités. Aujourd’hui, lorsqu’ils aperçoivent la trace d’un félin ou qu’un de leurs agneaux est tué, certains fermiers nous appellent plutôt que d’organiser une battue, explique Ivan Philipson qui précise: Comme nous ne touchons pas de subventions, il faut de l’argent pour financer tout cela et le vin de Neuras est l’un des pourvoyeurs de fonds de la fondation. Afin qu’il puisse remplir ce rôle, nous avons décidé de faire de nouvelles plantation, car le vignoble historique produit des raisins de faible qualité.» La cause de cette insuffisance: trop d’eau. Les ceps plantés à la fin des années 1990 par Allan Walkden-Davis, le précédent propriétaire, ont réussi à percer la couche sablonneuse qui sépare le sol d’une source souterraine. Résultat, les plants de Syrah ont les pieds dans l’eau et produisent des raisins aqueux qui se seront utilisés exclusivement pour la distillation d’un «brandy» maison. Toutefois, en 2012, un hectare et demi de cépages rouges (Syrah et Cabernet Franc en majorité) ont été plantés (loin de la source). Le premier millésime de ces jeunes vignes, 2015, sera mis sur le marché lors de la parution de cet article.

Kristall Kellerei: le hobby d’un maître distillateur
Deuxième étape de la Namibia’s Wine Route: Omaruru et la Kristall Kellerei. Direction Omaruru, au nord-ouest de Windhoek et à 450 kilomètres de Neuras. Ici, la commercialisation se fait essentiellement au domaine. Les tours organisés amènent pas loin de 5000 visiteurs, essentiellement allemands, dans la «Weinstube». Olga Kausch, en charge de secteur oenotouristique propose une visite des vignes et de la cave avant de déguster les deux vins du domaine, le Ruppet’s Parrot Colombard – à l’heure actuelle le seul blanc du pays – et un assemblage rouge, le Paradise Flycatcher qui marie les différents rouges – Tinta Baroca, Syrah, Cabernet Ruby, Malbec et Pinotage – plantés sur les quelques trois hectares du domaine. Le voyageur chanceux rencontrera peut-être Michael Weder, le propriétaire (depuis 2008) et winemaker. Toutefois, il est beaucoup plus probable que celui-ci soit en train de distiller de la figue du barbarie, du Devil’s Claw (une plante de la famille du sésame dont les tubercules sont transformés en gin), de la grenade ou des dattes à Naute Kristall Cellar and Destillery, le nouveau projet de Michael et Katrin Weder. Invités par le gouvernement à trouver un débouché pour le surplus de dattes cultivées près du barrage de Naute (500 kilomètres au sud de Windhoek), ce passionné vinifie encore les vins d’Omaruru, même si sa vraie vocation semble être les eaux-de-vie. Il est vrai que la qualité de ces dernières méritent le qualificatif d’excellent, ce que ne peuvent revendiquer les cuvées de la Kristall Kellerei. Michaël Weder reconnaît lui-même que: «le vignoble de Namibie est encore dans sa phase de rodage. Lorsque nous avons racheté la Kristall Kellerei à Helmut Kluge, qui avait planté les premières vignes de Colombard en 1990, j’étais avocat. J’ai ensuite fait des cours de caviste à l’université de Stellenbosch, mais je ne suis pas un professionnel du vin.» Les conditions de production du raisin en Namibie dans ce vignoble aride situé à 1200 mètres d’altitude donneraient d’ailleurs du fil à retordre à n’importe qui. «Il y a bien entendu la question de la sécheresse, mais aussi des oiseaux qui voient dans nos parchets une formidable source de nourriture, du matériel qui doit être importé du Cap, du manque de collègue à qui demander conseil en cas de problème. De plus, nous avons eu de gros problèmes de mortalité de la vigne à cause de l’esca. Pendant l’apartheid, de nombreux plants ont été importés illégalement en Afrique du Sud et nombre d’entre eux étaient contaminés par cette maladie. Aujourd’hui c’est un problème majeur, et nous, qui faisons venir nos greffons de la région du Cap avons aussi été touchés. C’est malgré tout une grande aventure, et le vignoble namibien possède un bel avenir. Tous nos vins se vendent et à un prix correct. Il y a un intérêt certain de la part du secteur touristique pour proposer dans les lodges ou les restaurants des crus namibiens. De plus le gouvernement soutien le développement de produits du terroir qui pourraient amener du travail aux populations rurales peu qualifiées.»

Erongo Mountain Winery: le grand bond en avant
Cette volonté de travailler avec les communautés rurales est aussi mise en avant par Wolfgang Koll: «Essence of Namibia, notre liqueur à base de Devil’s Claws, permet de valoriser une plante indigène qui pousse dans des régions très pauvres. C’est une aide au développement plus efficace que de donner quelques bouteilles pour des vente de charité». Cet ancien industriel du métal, qui s’est installé en Namibie après avoir vendu ses usines en Europe, a acquis un domaine près d’Omaruru sur lequel il planté quinze hectares de vignes et investi plusieurs millions de francs. Son ambition, produire de manière professionnelle et avec un certain volume (si nécessaire en achetant de la vendange auprès de vignerons namibiens ou sud-africains) du vin namibien de qualité qui soit référencé auprès des principaux acteurs touristiques du pays. Le premier millésime, 2014, vient d’être mis sur le marché et a déjà fait sa place sur la carte de plusieurs restaurants renommés du pays. La gamme actuelle se compose de trois vins, l’Etosha, un assemblage de Cabernet Sauvignon et de Syrah fruité et souple à classer dans la catégorie sapide et facile à boire. Plus complexes, les deux fiertés du domaine se nomment Krantzberg et Namibian Kiss. Le premier, de style bordelais, est élevé douze mois en fûts de chêne. Dense, expressif, mariant fruits noirs et notes d’élevage, offrant des tanins très souples ainsi qu’une belle persistance est l’image même du Bordeaux Blend de bonne qualité. Le second – puissant, généreux, exhalant la cerise noire et avoisinant la douzaine de grammes de sucre résiduel par litre – possède des allures d’Amarone.

Futur radieux pour le vignoble namibien
La visite du vignoble namibien ne serait pas complète sans une mention de Tonningii Wynkelder, près d’Otavi. Plantés par le Docteur Bertus Boschoff dans les années 1990, ces vignes sont maintenant travaillées par son fils. Selon Urs Gamma, consul honoraire suisse et chef du plus exclusif restaurant de Namibie «ce domaine produit les meilleurs vins de Namibie. Les autres domaines ont été créés par des gens qui avaient de l’argent et qui appréciaient le vin. Là, il y a à la fois de la passion et, maintenant que la nouvelle génération a repris le flambeau, de l’expertise.» La Syrah 2013 du domaine s’est en effet révélé le plus élégant des vins namibiens que nous avons pu goûté lors de notre périple dans ce jeune vignoble en train de s’organiser pour élaborer une législation viticole, étape indispensable pour entrer dans le concert des vignobles reconnus au niveau international.

Ce reportage est paru dans l’édition de juillet/août 2016 du magazine VINUM. Il était accompagné d’un encadré sur les caractéristiques historiques, économiques et climatiques de la Namibie.

About the Author:

Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

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